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Comme avant



Il est debout au milieu d’un champ de coquelicots. Elle adore les coquelicots. Le vent fait bouger les fleurs comme une mer et pourtant il ne sent rien. Ni le vent qui passe, ni le soleil qui tape, ni les fleurs à ses pieds. Au loin, il voit une silhouette. Elle porte une robe qui ondule à ses jambes, elle a de longs cheveux volant au vent sous un chapeau qu’elle tient sur sa tête.


Elle se retourne et son souffle se bloque. Lui qui pensait ne plus jamais la revoir. Alors il se met à courir vers elle. Il court de plus en plus vite, il a le souffle court et les jambes lourdes. Et elle s’éloigne encore et encore, il n’arrive pas à l’atteindre. Il voit son sourire et entend sa douce voix. Il continue de courir alors même qu’il a de plus en plus de mal à soulever les pieds.


Le champ de coquelicots n’est plus, le soleil a disparu et le vent s’est éteint. Plus il avance, plus ses pieds s’enfoncent dans le sol. Et elle est toujours hors de portée de main, sa vision s’assombrit, elle semble disparaitre mais il entend toujours sa douce voix l’appeler. Comme avant.


Alors il se bat, avance, utilise ses mains pour sortir son corps de la vase noire qui l’entoure et qui tente de l’avaler. La seule source de lumière dans cet endroit perdu, c’est elle. Elle qui se rapproche, qui n’est plus qu’à quelques centimètres. Il suffirait qu’il tende la main pour la toucher, si seulement il n’était pas coincé. Et il s’enfonce doucement alors qu’elle est enfin là.

Elle s’accroupit devant lui, se penche et prend son visage entre ses mains. Il n’a plus que la tête hors de l’eau et elle seule le retient de sombrer plus profondément. Il voit son sourire. Ce sourire radieux qui illuminait sa vie. Ce sourire qu’elle avait quand elle l’apercevait. Ce sourire quand il la prenait dans ses bras. Ce sourire amoureux. Comme avant.


Le chapeau, qui jusque-là cachait son regard, tombe. La terreur s’empare de lui. Il n’y a rien. Ces beaux yeux bleus comme l’océan qui pétillaient quand elle riait. Ces beaux yeux qui se remplissaient de larmes quand elle était triste. Ces beaux yeux qui se couvraient de nuage quand elle était en colère. Ces beaux yeux joueurs quand ils étaient ensemble. Ces beaux yeux séducteurs quand elle l’embrassait. Ces beaux yeux ont disparu. Il n’y a que deux trous profonds aussi noirs que la vase dans laquelle il s’enfonce.


Son sourire se transforme, ce n’est plus qu’un trou béant et de ses yeux coulent un liquide sombre comme l’endroit où ils se trouvent. Elle n’est plus qu’un masque d’horreur. Elle s’approche et le liquide coule sur son visage. Il ne peut pas bouger, elle seule le retient encore ici. Il tente de détourner le regard mais où qu’il se pose, il ne voit que son visage.


Et un bruit strident envahie le silence qui l’entoure. Comme un cri de désespoir et de peur.


Il la regarde et la tête tombe sans un bruit, ses mains toujours sur ses joues. Sa tête roule, lui fait face et se fait doucement avaler par la vase avant de disparaître. Et les mains glissent de ses joues et le corps tombe. Plus rien ne le retient et il s’enfonce à son tour. La vase pénètre sa gorge, son nez, ses yeux. Il ne respire plus, il ne voit plus. Il n’y a plus rien d’autre que le bruit de son cœur qui bat, qui bat, qui bat.


Un flash de lumière.


Il est debout au milieu d’un champ de coquelicots. Elle adore les coquelicots. Il n’y a pas un bruit, pas un mouvement. Au loin, il voit une silhouette. C’est elle, avec sa belle robe et son chapeau de paille préféré. Comme avant.


Une deuxième silhouette approche. C’est lui, avec elle. Ils jouent, ils s’amusent, ils s’aiment. Comme avant.

Il la prend dans ses bras, l’embrasse dans le cou. Elle se laisse faire. Comme avant.


Tout devient noir, le couple disparaît. Il est toujours là, debout. Il attend parce qu’il sait. Il a toujours su.


Un flash de lumière.


Elle est dans la cuisine, elle prépare le diner. Elle adore cuisiner. Il arrive par derrière, l’embrasse dans le cou. Elle se laisse faire. Comme avant.


Il regarde ses doigts virevolter entre les ingrédients, les épices et les casseroles. Et il voit un couteau posé là. Et il la sert fort dans ses bras. Elle rigole, se penche en arrière et pose sa main sur son bras. Comme avant.


Elle ferme les yeux, attend son baiser. Comme avant.


Et la lumière devient rouge, et le sang coule, coule, coule de la plaie au cou. Et elle s’agrippe à ses bras et il sert fort, fort, fort jusqu’à ce qu’elle s’effondre. Le couteau dans la main, son corps dans ses bras. Tout devient noir.


Plus rien ne sera comme avant.

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